Organisée dans des conditions difficiles, ses organisateurs devant faire face aux menaces des islamistes d’un côté et aux tracasseries administratives de l’autre, la marche « Aatakni » fut pourtant un énorme succès, au-delà même des espérances des instigateurs de l’idée initiale. Une idée née de la volonté de répondre aux derniers évènements de violences au nom de la religion qu’a subis la Tunisie.
Ils étaient environ 5.000 personnes à marcher aujourd’hui 16 octobre à la mi-journée sur une Avenue Mohamed V qui n’avait plus connu une manifestation d’une telle ampleur depuis plusieurs mois. L’enjeu était de taille : face à la vague de violences salafistes ayant suivi l’affaire Nessma - Persepolis (mais pas seulement), il s’agissait pour une poignée de jeunes bénévoles, tous indépendants, insatisfaits des réactions de la classe politique, de réagir pacifiquement mais fermement, en mobilisant davantage de Tunisiens en faveur de la liberté d’expression que les quelque centaines de salafistes ayant entraîné avec eux des centaines d’autres Tunisiens levant des slogans liberticides vendredi dernier. Forcing pour une marche contre l'intégrisme
Nous avions suivi les trois jeunes universitaires qui ont déposé une demande en bonne et due forme la veille, selon la loi en vigueur stipulant que le ministère de l’Intérieur doit être informé au préalable de tout rassemblement ayant lieu dans l’espace public. La page de l’évènement sur les réseaux sociaux, au moment de la « tentative » de dépôt à 17h00 heures locale, affichait déjà près de 10.000 soutiens.
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Ils sont d’abord refroidis par une relative fin de non-recevoir. Motif : c’est désormais le Premier ministère qui doit donner les autorisations aux demandes de manifestations « susceptibles de causer des troubles à l’ordre public ». Nous comprenons que le dossier « Aatakni » devient politique aux yeux des autorités, très soucieuses de maintenir un ordre précaire à l’approche d’élection historiques pour le pays.
Mais les organisateurs n’en démordent pas. Ils considèrent que la dynamique révolutionnaire nécessite que l’on arrache ses droits et que l’on s’empare de son destin, d’autant que les manifestations du camp « pro censure » avaient été improvisées et non autorisées. Décision est donc prise de mettre les forces de l’ordre, une fois informées, devant le fait accompli, en espérant que les participants seront suffisamment nombreux Place Pasteur à 13h pour faire le forcing et engager la marche.
Convivialité et communion pacifique
Ce fut chose faite : dès midi un important dispositif policier est déjà sur place, à la fois pour empêcher la marche et la protéger en cas de besoin. Les jeunes instigateurs du mouvement choisissent la voie diplomatique pour négocier le droit à la marche, fort des centaines de personnes qui les rejoignent toujours plus nombreux faisant pression en aval.
13h15, le cordon policier ne résiste pas : au pied du mur, il est contraint de laisser démarrer la manifestation Aatakni, qui part sur les chapeaux de roue ! Les slogans, souvent improvisés, fusent et surprennent par leur audace et leur liberté de ton : « Dehors l’obscurantisme ! », « Non aux collaborateurs de l’Arabie Saoudite », ou encore « Le peuple veut un Etat civil » (par opposition à un Etat religieux).
Quelques perturbateurs (dont un portant une écharpe Ennahdha) tentent toutefois de s’infiltrer en prenant la tête du cortège pour crier des contre-slogans. Les manifestants ne cèdent pas aux provocations. Les éléments en question sont écartés du cortège par la police, et un seul cas, particulièrement violent, doit être neutralisé au sol.
La marche se disperse dans le calme et, chose rare, sous les applaudissements nourris des passants, le tout dans une convivialité qui laissait entrevoir une certaine paix civile retrouvée, le temps d’une communion pacifique entre des milliers de Tunisiens qui ont su être en rendez-vous pour marquer leur opposition aux dérives réactionnaires de ces derniers temps. Ce qui laisse présager d’une forte mobilisation du camp laïque et libertaire dans une semaine pour une Constituante où la Tunisie joue sa liberté.
Seif Soudani