Sept ans de prison pour deux jeunes nés en 1984 à Mahdia. Ils font partie de ces jeunes auxquels la révolution du 14 janvier allait permettre d’exercer ces droits humains fondamentaux que sont la liberté de conscience et d’expression.
Ont-ils tenu des armes ? Ont-ils commis des meurtres ou appelé au meurtre ? Ont-ils outragé le drapeau du pays ? Ont-ils déclaré la guerre aux principes de la République ? Ont-ils pris part au trafic d’une quelconque drogue qui détruit les esprits et les corps ? Non. Ils n’ont fait qu’exprimer sur la toile des points de vue, sans doute excessifs ou injustes, sur l’islam mais ne portant nullement atteinte à l’ordre public.
Ordre public menacé, en revanche, par des appels au meurtre et incitations à la haine qui se sont déployés tout au long de ce feuilleton dont nous avons été les spectateurs éberlués, inquiets et d’autant plus soucieux que le niveau du débat national a dégringolé pour être réduit, de manière erronée, à une polémique entre mécréants et fidèles.
Peut-on protéger la foi par des lois répressives ? Non. Dès lors que la prédication a commencé à prendre de l’ampleur dans la péninsule arabique, des centaines de livres ont mis en cause le prophète de l’islam, prenant pour cible des épisodes de sa vie. Cela a-t-il affaibli la foi des gens ou les a-t-il amenés à se détourner de l’islam ? Non. Les Musulmans des premiers siècles étaient plus équilibrés. N’ont-ils pas déclaré que celui qui rapporte des propos impies n’est pas un impie ? N’ont-ils pas affirmé l’autonomie de la littérature par rapport à la religion ? Et dans ce que nos jeunes ont publié, il y a de la littérature, de l’imagination et de l’humour.
L’islam est-il à ce point fragile pour que vous le protégiez, Messieurs les juges, par des lois répressives héritées de l’ancien régime et par un verdict aussi cruel ? Je ne comprends pas pourquoi les non croyants sont traités comme des criminels. Non, ils ne sont pas coupables, Messieurs. Des jeunes en colère, voilà ce qu’ils sont, et ils ont le droit de se révolter contre toutes les manifestations de l’ordre établi. Vous vous arrogez le droit d’être plus durs que le Dieu clément qui accepte le repentir ? Vous voulez substituer au jugement de l’Au-delà un verdict de ce monde ?
Les islamistes ont ployé sous le joug de la prison et de la torture pendant des années. Peut-être que nous ne les avons pas assez défendus par des discours et des écrits, et je m’excuse de ne l’avoir pas fait suffisamment, même si beaucoup d’avocats laïcs et de gauche ont plaidé leur cause dans les tribunaux. Comment pouvez-vous cautionner aujourd’hui ce retour des procès d’opinion ? Comment pouvez-vous ressusciter, à l’aube de ce XXIesiècle, l’inquisition moyenâgeuse et ce, dans un pays où un courant rationaliste, né de la pensée islamique, a vu le jour dès le début du XXe siècle, dans un pays qui a connu la révolution de la liberté et de la dignité ? Relisez Tahar Haddad et Abu al-Kassem Chebbi, vous y trouverez les prémisses lumineuses de la rationalité et de la responsabilité individuelle.
Si vous êtes croyants, faites en sorte que le supplice soit l’apanage de l’Au-delà et discutons plutôt des affaires de ce monde, du développement équitable et des mesures en vertu desquelles les corrompus doivent rendre des comptes, pour que nous puissions enfin tourner la page et construire la 2èmerépublique.
Est-ce que vous prenez la mesure de ce que représentent sept ans de prison dans la vie d’une jeune personne ? Elles signifient une vie brisée, expression commune au dialectal tunisien et à l’arabe classique. « Que ta vie soit brisée ! », c’est ce que disaient nos vieilles quand elles se plaisaient à être détestables. Ces sept ans de prison signifient : « Vous n’avez pas d’avenir. Vous serez emmurés vivants dans les prisons et dans l’exil. Vous ne méritez pas de vivre puisque votre opinion diffère de celle de la communauté ».
Et si la jeunesse de décembre-janvier 2011 ne nous avait pas libérés ? Ceux qui sont aujourd’hui aux commandes n’auraient pas eu l’opportunitéde vivre au grand jour et de gouverner.
Je connais un magistrat qui s’était rendu complice de ces décisions de justice iniques et cruelles à l’encontre des islamistes et qui a été mis à la retraite. Il était constamment rongé par le remords parce qu’il avait brisé des vies, dispersé des familles et les avait privées de leurs moyens de subsistance. Il ne dormait pas et il lui était impossible de se réjouir des belles choses de la vie.
Comment les victimes d’hier peuvent-elles se transformer en bourreaux ? C’est cette question cruciale que nous adressons aujourd’hui aux victimes d’hier et au Président de la république et ancien défenseur des droits humains. Son amnistie s’étendra-t-elle le jour de la fête de la République à ces deux jeunes ?
Atteinte au sacré ? Il n’y a d’atteinte au sacré, pour moi, que lorsque certains prennent en otage des lieux de culte, les profanent par des luttes de pouvoir et par des actes violents, en ferment les portes et changent les serrures. Je ne vois d’atteinte au sacré que lorsque la créature s’arroge le droit d’occuper la place du Créateur et se substitue à lui en faisant précéder le supplice de l’Au-delà par un châtiment de ce monde. Laissez le supplice au bon Dieu et ne vous substituez pas à Lui. Telle est la première leçon de démocratie. Ménagez un espace pour le débat, la critique, l’autocritique et pour le repentir. Celui qui défend la foi avec autant de fureur et de démesure est appelé à se rendre à l’évidence de l’inconsistance de sa propre foi.
Il y a une nouvelle notion dans la littérature des droits de l’Homme, « la souffrance illégitime ». Elle désigne la souffrance qui excède toutes celles inhérentes à la condition humaine : la séparation, la maladie et la mort. « La souffrance illégitime », c’est la souffrance relative à la violence, violence infligée à l’Homme par son prochain et n’ayant pour motif que la différence d’opinion. L’un de ces jeunes est écroué, l’autre est voué à l’errance et les deux familles sont en proie à la violence et à l’injustice.
Messieurs les décideurs, un comité international prendra la défense des deux jeunes, parce que, que vous le vouliez ou pas, ce sont des prisonniers d’opinion et non pas des prisonniers de droit commun. M’entendez-vous ? Il est temps de réparer cette injustice, véritable « atteinte »à la révolution de la liberté et de la dignité.
Raja Ben Slama
* Traduit de l’arabe par Insaf Machta
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